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La Tunisie

La tradition fait remonter sa fabrication à Kairouan au deuxième siècle de l'hégire. Elle tire toutefois son nom de l'adjectif dérivé de Shash (nom de l'actuelle Tachkent en Ouzbékistan). 
De forme cylindrique, la chéchia est importée en Tunisie, sous sa forme actuelle, depuis l'Espagne par les Maures expulsés après la prise de Grenade en 1492. Trouvant en Tunisie une seconde patrie, ils y implantent l'artisanat de la chéchia. 

À partir des années 1920, les indépendantistes tunisiens portent de plus en plus de la chéchia testouriya (originaire de Testour) car son nom est proche de celui de leur parti (Destour).
   

Sa fabrication est considérée comme un art raffiné et répond à des traditions strictes. Quiconque désirant se lancer dans cet artisanat particulier doit auparavant passer un examen approfondi devant un comité désigné d'artisans. 
Confectionnée par des chaouachis émérites, la chéchia ne tarde pas à occuper trois souks entiers dans la médina de Tunis, tant son succès est grand, ce qui donne du travail à des milliers de personnes.

Les chiffres officiels donnés par le Bureau tunisien des industries traditionnelles indique que 80% des chéchias sont exportées[1] en Algérie, au Maroc et au Soudan mais aussi dans tout le Proche-Orient et jusqu'en Asie.

Chéchia ( site karouan.com )

   

Étapes de la fabrication
La chéchia traditionnelle est faite de laine peignée tricotée par les femmes qui font les bonnets kabbous. 
Ces bonnets sont envoyés au foulage : ils sont mouillés avec de l'eau chaude et du savon et les hommes les foulent aux pieds, afin de les détremper, à tel point que les mailles du tricot auront quasiment disparu. Vient alors le traitement du chardon, qui sert au cardage ou peignage du bonnet, afin de transformer le feutre en velours duveté. Cependant, de plus en plus souvent, le chardon est remplacé par une brosse métallique. C'est à ce stade de la fabrication que la chéchia est teintée de sa célèbre teinte rouge vermillon mais on en trouve désormais de couleurs plus variées.

Division du travail et répartition géographique permettent sa production artisanale à une grande échelle tout en conservant la qualité qui fait la réputation de la chéchia de Tunis. Une douzaine de personnes, dont un tiers de femmes, participent à sa fabrication dans plusieurs points du pays choisis en fonction de leurs ressources humaines ou matérielles[réf. nécessaire]. La qualité des eaux joue un rôle important d'où les choix différents pour le foulage et la teinture.

filage de la laine : Djerba et Gafsa 
tricotage : Ariana (par des femmes spécialisées appelées kabbasat) 
foulage : El Batan (dans les eaux de la Medjerda) 
cardage : El Alia (origine du chardon) 
teinture : Zaghouan 
mise en forme : Tunis 
finitions : Tunis 

Artisanat en crise
Après l'indépendance de la Tunisie en 1956, avec l'arrivée des produits manufacturés et de coutumes en provenance de l'Occident, le port de la chéchia tend à se limiter aux vacances et aux fêtes religieuses et est souvent associé au troisième âge[1]. Les revenus des fabricants s'en ressentent et beaucoup sont amenés à renoncer à cet artisanat. De plus, les gens vivants dans la campagne tendent à abandonner ce couvre-chef traditionnel au profit de ses équivalents moins chers et de fabrication industrielle[2]. L'absence de programme gouvernemental cohérent participe de ce déclin aux yeux des traditionalistes[1].

Par ailleurs, de nombreux spécialistes attribuent le déclin de cet artisanat aux fabricants eux-mêmes qui manqueraient de créativité et d'innovation. Pourtant, à la fin des années 1990, dans le but de revitaliser cette industrie, de nombreux artisans commencèrent à fabriquer de nouvelles variétés de chéchias de couleurs, de formes et de décorations différentes afin d'attirer une clientèle plus jeune. Pourtant, très rapidement, cet élan s'épuise alors que les exportations de la chéchia tunisienne vers les pays africains se sont également essoufflées
   
  

 
La chéchia tunisienne

Confusions
La chéchia ne doit pas être confondue avec le fez (appelé aussi chéchia stambouli). La chéchia est souple alors que le fez est rigide, conique et haut de forme. 
Elle ne doit pas être confondue avec la chéchia adoptée par certaines troupes coloniales françaises (zouaves et tirailleurs notamment) qui est un long bonnet souple. 
Jusqu'au XIXe siècle, la chéchia est souvent entourée par un turban : c'est sans doute de là que vient le mot français chèche pour désigner le litham touareg. 

Le chéchia tunisien lutte pour survivre
   

     

Enquête : Comment se porte la chéchia? 
Par Mohamed Bouamoud 

Il est très rare de nos jours de croiser un Tunisien portant une chéchia même en plein hiver. Est-ce anormal ? Est-il obligé de la mettre ? Si oui, au nom de quoi ? Qui nous a légué ce couvre-chef qui a connu toute une époque faste puis une décadence cuisante ? Et surtout, comment s’en sortent aujourd’hui les professionnels de la Chéchia qui y tiennent beaucoup et malgré tout ? Webmanagercenter a enquêté.

Dans les environs de la Mosquée Zitouna, vers la Kasbah, une ruelle cloutée à votre droite : c’est l’entrée du souk Chaouachyya. Certaines boutiques ont fermé. D’autres sont ouvertes comme pour tenir tête à une crise latente qui perdure déjà depuis bien des années. En fait, ce n’est ni la misère totale, ni, surtout pas, la prospérité ; c’est au gré des jours, quelques hauts et beaucoup de bas, surtout en été. Mais elles sont là, comme les vestiges d’une époque surannée.

Petite page d’Histoire

L’Histoire de la chéchia en Tunisie, il faudrait l’appréhender avec des gants de laine justement, tant elle semble ne s’appuyer sur aucun document académique ou scientifique. Partout, à son propos, les ouï-dire l’emportent, même si certaines sources s’obstinent à prouver tant bien que mal leur véracité, leur authenticité. La voici cette page d’Histoire, cousue de témoignages divers, de souvenirs frappés de flou…

Dans leur propagande l’Islam à travers le monde, les musulmans se seraient vraisemblablement rendus jusqu’au Caucase. Car dans cette chaîne de montagnes comprises entre la mer Noire (URSS) et la Caspienne (Iran) avaient vécu les…Tchétchènes, peuple caucasien connu pour être musulman. Le froid qui sévissait en permanence (jusqu’à neuf mois d’hiver) dans cette région extrême de l’Europe obligeait ses habitants au port d’un bonnet de laine. Rien, aujourd’hui, ni personne ne peut dire avec exactitude comment était appelé chez les Tchétchènes ce couvre-chef, mais il demeure quasi certain que les propagandistes avaient tiré tout droit le mot ‘‘chéchia’’ du nom même de ce peuple qu’ils avaient converti à l’islam. En quelle année sommes-nous ici ? Il serait hasardeux d’avancer une date. Mais si nous prenions le risque de considérer ce qui précède comme étant de l’Histoire authentique, nous serions probablement dans les années qui ont juste suivi la mort du Prophète (632), soit au VIIème siècle. En revanche, il y a lieu de tenir pour vraie l’origine tchétchène, donc soviétique, de la chéchia, à ceci près que les formes originales et actuelles sont assez différentes. 

Maintenant, la légende veut que les propagandistes, en quittant le Caucase, soient sortis avec quelques sujets tchétchènes pour séjourner un laps de temps à Kairouan. 

Evidemment, avec eux, a émigré pour la première fois la chéchia qui, à cause de son feutre, était aussi dite Farfouria par les Arabes musulmans. Mais pourquoi précisément à Kairouan, cette escale ? La légende, sans réponse, reste muette là-dessus. De là, en tout cas, ils seraient repartis vers l’Andalousie, en Espagne. Ici, solidaire, l’Histoire rejoint la légende : «Envahie par les Vandales au début du Vème siècle, l’Andalousie passa aux mains des Arabes de 711 à 716. Cordoue est la capitale d’un Emirat, puis (en 929) d’un puissant Califat, foyer de la culture musulmane en Occident. Au milieu du XIème siècle, le Califat se défait en petites principautés, ce qui facilite La Reconquista espagnole. La victoire chrétienne (1212) marqua le début de la décadence musulmane ; en 1492, la prise de Grenade par les Rois catholiques met fin à l’histoire de l’Andalousie maure. Au XVIème siècle, les Maures d’Andalousie sont acculés à la conversion au christianisme. Mais Philippe II, les soupçonnant de ne pas s’être réellement convertis, les chassa vers 1610… ».

Désormais, le doute n’est plus de mise. Chassés, les Andalous ont tenu à sortir avec eux maintes affaires propres et des objets de valeur ; ils sortirent des bagues dans de la Baqlawa, des bracelets dans des kaâk ouarqa et, entre autres, des grains de chardon dans des banadhêj, le tout, évidemment, pour échapper au contrôle drastique des chrétiens. Après de brefs séjours au Maroc et en Algérie, ils se sont installés cette fois-ci à Tunis, dans un quartier qui porte aujourd’hui encore leur nom : « Quartier des And’louss ». Il n’est pas très risqué d’affirmer qu’en ce début du XVIIème siècle, et un peu grâce aux Andalous de Tunis, l’artisanat (Jebba, chéchia, Fouta et Blouza, la broderie, le sefsari, l’argent…) connut un début d’activité intense. Sur moins de deux millions d’habitants, la Tunisie d’alors comptait pas moins de 200 chaouachis, des fabricants de chéchia, alors que bien d’autres s’adonnèrent déjà à divers métiers artisanaux. 

Casse-tête nocturne

La confection de la chéchia n’est pas aussi simple qu’on peut l’imaginer. Elle passe par six étapes, à savoir le tricotage (pour obtenir le kabous), le foulage (opération qui consiste à fouler fortement le kabous pour son durcissemen), le cardage au moyen du chardon pour lequel on a dû faire entrer les grains, la teinture, le moulage et la finition. Or, le foulage est une opération à très fort tapage ; la nuit, les habitants de Tunis, ne tolérant plus ce casse-tête nocturne, en vinrent à porter plainte au Dey. Celui-ci, saisi de l’affaire, convoqua dans sa cour l’un des chaouachis à s’expliquer sur ce crime de ‘‘trouble-sommeil’’. Pour toute réponse, l’artisan dut confectionner une chéchia entière à la mesure de la tête de son seigneur. Se regardant dans la glace, le Dey en fut ébloui, et ses ministres ébahis, d’autant plus que le chaouachi avait eu le réflexe d’embrocher la couronne du Maitre sur la face frontale de la chéchia. Du coup, ministres, dignitaires et hauts responsables du pays portèrent une chéchia de couleur rubiconde et se pavanèrent à qui mieux mieux. Emulation ou mode oblige, tous les Tunisiens de l’époque, enfants, jeunes et adultes, s’en couvrirent le crâne. Et l’on se mit à lui reconnaître au moins trois mérites : d’abord son prestige (« Un homme sans chéchia est un Roumi dissolu), ensuite sa particularité immunitaire contre le froid (grâce à sa laine) et son caractère… paratonnerre (grâce, paraît-il, à la Qobbyâ en soie). 

Nous avons, ici, enjambé deux siècles et sommes à présent à la fin du XVIIIème siècle. La chéchia connaît un essor sans précédent. Sa notoriété a dépassé toutes les frontières pour atteindre l’Algérie, la Libye, le Cameroun, le Nigeria (surtout), l’Egypte, le Soudan et jusque la Turquie et la Grèce. Unique fournisseur dans le monde, la Tunisie exportait sur nombre de pays africains et européens qui, ces derniers, auraient en vain tout fait pour l’imiter. Alors qu’en Turquie la chéchia a subi une légère transformation (plus haute) et fut baptisée « Chéchia Stambouli » (Istanbul ?), en Grèce les habitants d’Athènes lui trouvèrent un nouvel usage. Les chéchias pour bébés auraient également servi de…soutien-gorge pour les femmes. Mis au parfum de ce nouveau mode d’emploi, les artisans de Tunis riaient jusqu’aux larmes à l’idée que les têtes de leurs enfants étaient donc une image des poitrines grecques et que leurs propres têtes ne pouvaient être qu’à l’image des poitrines de leurs propres épouses. On ne le répètera pas assez : la chéchia, de 1610 jusqu’à la moitié du siècle dernier, en passant par toute la période du Protectorat français, était une distinction et un panache pour les Arabes musulmans que nous sommes. 

La décadence

Soudain, en 1955, un incident matérialiste. La Tunisie, à la veille de son indépendance, avait besoin d’épargner sa provision en devises. Importer de la soie pour en faire des…Qobbyâ était synonyme de sacrilège, un gâchis en tout cas. 
En bons destouriens nationalistes, les Tunisiens s’étaient résolus à porter la chéchia sans sa Qobbyâ. Sur le coup, la chéchia perdit de sa magie, de son originalité : de chéchia Magidi, elle devint une chéchia au sens austère du terme. 
On peut deviner facilement la suite de la décadence. L’évolution des mœurs dans un pays qui aspire à la modernité et s’européanise sous l’effet des médias a fait le reste. Le premier à prendre sérieusement du plomb dans l’aile fut évidemment le sefsari. L’on a vite alors prophétisé la disparition à plus ou moins brève échéance de la chéchia. Mais elle tint vraiment…tête. Obstinément. 
En 1981, l’on comptait au Souk des Chaouchias la bagatelle de…120 fabricants. Entêtement illusoire au fond car les Tunisiens ne la portaient plus, ou très rarement. Et comme sa descente aux oubliettes était peu de chose, il s’en trouva un comédien tunisien qui s’amusa, dans une pièce à grand succès, à porter n’importe comment sur la tête une chéchia avachie et plutôt sale. Du coup, la chéchia devint clownesque, une risée. Jeunes et moins jeunes s’en moquaient et en pouffaient de rire. 

A la reconquête d’une identité

C’est très facile d’en rire. Mais il y a des familles entières qui vivent de la chéchia. La chéchia est un métier appris et retransmis de pères en fils. Certains sont morts de mort naturelle ; d’autres ont dû fermer boutique faute de pouvoir survivre. Ils étaient deux cents artisans au début des années 80, ils ne sont plus aujourd’hui qu’une petite…trentaine. Le salut, ils le trouvèrent dans l’export. La Libye, évidemment, mais surtout le Nigeria, devenu, grâce à la Tunisie, la plaque tournante, en Afrique (Niger, Sénégal, etc.) de la chéchia tunisienne. Sauf qu’à certains moments de leur histoire, ces pays africains (excepté le Sénégal) connurent des coups d’Etat ; à chaque coup, c’est la chéchia, à Tunis, qui hérite du même coup. 

Le marché algérien fut perdu en ces mêmes années 80. Seule la Libye, durant de longues années et jusqu’à aujourd’hui, est restée un marché à même de sauver quelque peu la situation. En tout et pour tout, la Tunisie exporte bon an mal an quelque chose dans les 200 mille pièces. Mais c’est très peu en face d’un marché africain dont on ne répond qu’à 5 % des besoins. De surcroît, les quelque trente artisans ne sont pas tous capables d’honorer des commandes de cette importance. De telles commandes supposent un capital, un vrai. Ce serait donc assez optimiste si l’on portait le nombre des exportateurs de la chéchia à dix seulement. Et les autres ? Tous ces autres restés à la merci d’un marché local quasiment fermé ?

Dans le Souk des chaouachis de Tunis, tous les artisans le reconnaissent : c’est le Chef de l’Etat en personne qui a fait de tout son mieux pour redonner vie à cette activité et un regain d’intérêt à cet élément identitaire. En décrétant le 16 mars de chaque année Journée nationale de l’artisanat, c’est une bouffée d’oxygène qu’il a insufflée à une profession régulièrement menacée d’extinction. Proposée entre 5 et 8 dinars la pièce (2ème choix) et 10 à 15 dinars (1er choix), la chéchia ne trouve – en hiver ! – acquéreur qu’auprès des vieux. Et encore ! Pour intéresser quelque peu les jeunes, les artisans se sont ingéniés à diversifier les coloris et à broder la chéchia à l’intention des femmes. Oui, ça a marché. Mais très timidement. M. Azzouz Kéhia, vice-présient de la Chambre nationale des Chaouachis, rend également hommage, pour sa part, au ministère du Commerce et de l’Artisanat qui a (presque) imposé l’accès de la chéchia aux grandes surfaces, et à l’Office National de l’Artisanat qui a, certains 16 mars, offert des chéchias à la Foire du Kram juste pour venir en aide aux petits artisans. 

Et alors ?... Comment se porte la chéchia ?... Sur la tête, évidemment. Sauf que des millions de têtes n’y pensent même pas…
    

      

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